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Hommage a Paul Bocuse par Alain Dutounier, restaurateur **

Mon hommage à Paul Bocuse : c’est l’histoire d’un « Super mec ! » qui restera un marqueur de la culture culinaire, une référence de la qualité et un modèle d’humanisme.

Au moment de cette inéluctable échéance, avec mes proches nous nous associons par la pensée à la famille Bocuse, à son entourage, à tous les membres des fidèles équipages tant professionnels qu’amicaux, qui ont tous évolué dans son brillant sillage.

Dans ce moment difficile, nous repensons tous en priorité aux instants festifs partagés, souvent empreints d’humour, de malice et de convivialité. Eh oui Paul incarnait bonheur et générosité aux yeux de tous. Derrière cette sympathique image se cachait avant tout, un passionné surdoué qui cultivait la gourmandise au quotidien et qui a tout simplement révolutionné notre corporation dans les années 70/80. En son temps la presse a souvent écrit qu’il avait fait sortir les cuisiniers de derrière leurs fourneaux, en réalité il a surtout fait évoluer socialement le statut du cuisinier de « damné des fourneaux » à celui de star du « piano ». Avec nos grands chefs de sa génération, la cuisine française a conquis l’Élysée. En 1975, la soupe V.G.E. allait connaître un succès planétaire. Déjà fin de ces fameuses années 1970, le célèbre photographe Francis Giacobetti reproduisait la Cène avec Paul entouré de ses disciples… Bien avant son ouvrage « la cuisine du marché », son credo de précurseur pour faire de la bonne cuisine, se résumait à un produit de qualité, le plus naturel de la saison, dans son authenticité et sa fraîcheur.

Il était animé de cette superbe intelligence faite du bons sens des gens de la ruralité dont il revendiquait les valeurs. Dès le début du grand mouvement « nouvelle cuisine » avec Henri et Christian, il a toujours défendu sans concession l’identité et les fondamentaux de sept siècles de cuisine française codifiée. Fier de son titre de M.O.F. et fidèle à sa vocation de formateur, il a encouragé et donné l’exemple et le goût d’entreprendre, à nombre de jeunes cuisinières et cuisiniers issus de ce mouvement. Observateur et curieux de tout, il allait fréquemment visiter les jeunes pousses dans leurs « creusets » de réflexion, leur apportant avis, conseils et encouragements, avec toujours en retour un beau cadeau entouré du ruban tricolore. Pour lui, transmettre était le maître mot de la gastronomie.

En grand professionnel courageux et fort de toutes ces valeurs, il a réussi à évangéliser la terre entière à la cuisine française. Sur les pas d’Auguste Escoffier, en pionnier il est parti à la conquête de la télévision américaine, avec sa recette secrète des « œufs en meurette » réalisée chaque fois chez une notoriété exhibant pour la sauce, le plus grand nectar millésimé de sa cave .. ! S’en est suivie la conquête de l’Asie et plus particulièrement son importante implantation au Pays du soleil levant. Compte tenu de son expertise et fédérateur des cuisines de l’est à l’ouest de la planète, ce visionnaire avant-gardiste se protégeait des effets de mode et des tendances éphémères. Loin du narcissisme culinaire médiatique et visuel, il est resté fidèle à la gastronomie du bon goût. Père de nombreuses institutions professionnelles reconnues mondialement pour leur excellence, tel l’Institut Paul Bocuse, il a su faire du Bocuse d’Or de véritables jeux olympiques de la cuisine. Il représente à la fois l’héritage et l’avenir de notre patrimoine culinaire artisanal.

Rencontrer Paul Bocuse signifiait croiser l’histoire et le vécu d’un personnage qui savait d’où il venait, ce qu’il avait enduré et comment il avait construit sa propre identité : la tête dans les étoiles, les pieds dans cette terre nourricière.

Nous venons de perdre le plus prestigieux de nos fondateurs
Dès la création du Collège Culinaire de France, Paul Bocuse, solidaire de notre action, nous a toujours encouragés pour défendre les valeurs liées à la QUALITÉ tant sur la dimension sociétale que humaine. Depuis ce samedi 20 Janvier 2018, les restaurateurs, les producteurs et les vignerons de QUALITÉ sont les nouveaux héritiers de ce TOTEM du patrimoine gourmand français. Nous avons le devoir de respecter, d’honorer et de transmettre toutes ces valeurs que Monsieur Paul nous a confiées !
Une dernière devise de cette belle âme pour être heureux :
« travailler comme si on allait vivre jusqu’à cent ans et s’amuser comme si l’on allait mourir demain … »

Paul Bocuse, Prince de la blanche neige des inuits ?
Voyager avec Monsieur Paul n’a jamais été de tout repos. Maîtrisant l’art et l’élégance pour s’éclipser d’une soirée qui traînait en longueur notre homme en déplacement appréciait de se coucher comme les poules mais attention il était comme le coq toujours le premier levé. Et là attention ! Le magasin « farces et attrapes » était déjà ouvert… Il ne fallait jamais laisser traîner un appareil photo, un vêtement, un cadeau… tout pouvait arriver. Quelle ne fut pas la déconvenue de l’ami Raymond Casau lorsque son père (personnage haut en couleurs) reçut un vieux fourneau rouillé dans leur restaurant de Pau et lui reprocha d’avoir commandé cette horreur inutile … Devinez le nom du commanditaire ?

Grand voyageur avec toujours l’opinel planqué dans sa pogne, il franchissait souriant les portiques de sécurité et envisageait déjà une situation ubuesque pour piéger hôtesses et stewards…

A l’occasion d’un séjour sur le cercle Arctique chez les Inuits avec Jérôme, Jean Banchet, Guy Savoy et l’imprévisible Janody nous avons vécu une chasse à la perdrix blanche. Habitué au goût merveilleux de ce gibier lors de mon activité en Suède j’avoue avoir manqué de courage lors de la dégustation. En effet, après avoir savouré ce gibier la veille dans une délicate sauce préparé au bivouac par le chef Jean Paul Grappe je me suis retrouvé le lendemain dans une situation plus inconfortable. Conscients du plaisir que nous avions éprouvé le soir, trappeurs et Inuits menaient la chasse devant nous. Sitôt abattu par une température de -60°c, l’oiseau fumant fût plumé, vidé et parfaitement nettoyé avec de la neige. Le chef des Inuits donna l’exemple, levant le filet sanguinolent avec son traditionnel poignard, le déchirant de ses canines acérées et le savourant les yeux mi-clos, le sang sur les lèvres… Monsieur Paul, flairant le piège de cette curieuse dégustation s’empressa de préciser à l’interprète que j’étais le spécialiste de ce genre de gibier et dirigea vers moi avec son sourire roublard, l’offrande fumante des chasseurs que j’ai été contraint de refuser. Tout ceci à la grande surprise de nos hôtes qui me firent remarquer que la veille au campement nous en avions consommé dans une assiette chaude à environ 40°c alors qu’aujourd’hui je leur refusais ce même gibier fumant à 30°c (température de la perdrix qui venait d’être tuée) mais compte tenu de la température extérieure avoisinant – 60°c ce perdreau cru était donc pour eux à +90°c… Je me suis confondu en excuses pour mon manque d’habitude envers la gastronomie polaire…Merci Monsieur Paul, nous en avons d’autres en magasin !

Cavalheiro Paul Bocuse, Maître expert en Bacalao – « Ya de la morue dans l’air, on te suit dans cette galère …! »
Comme de nombreux amis, quand on a eu le privilège de croiser pendant plus de 40 ans ce personnage d’exception nous avons tous de superbes souvenirs à échanger. Souhaitons qu’un plumitif talentueux compile toutes ces anecdotes dans un ouvrage-hommage à Monsieur Paul. J’en veux pour preuve cette belle histoire datant d’une trentaine d’année. Avec mes amis Bernard Fournier, Henri Faugeron, JP Morot Gaudry et nos compagnes nous dînons un samedi soir à Collonges entourés des bons soins de Madame Raymonde et Monsieur Paul. Généreux dîner de rêve arrosé de nectars précieux (j’ai encore en mémoire ce « jeune » très vieux Moulin à Vent servi à l’aveugle) avec rendez-vous organisé le dimanche matin chez Françoise et Jean-Jacques Bernachon pour assister au « conchage » du chocolat. Moment précieux partagé chez Bernachon, verre de champagne avec Monsieur Paul qui nous questionne sur notre retour à Paris et le lieu de déjeuner. Nous lui demandons de nous donner une adresse très simple compte tenu des agapes de la veille. Aussitôt dit aussitôt fait, le maître nous oriente vers un petit restaurant portugais dont il a le secret dans le secteur, à condition d’aimer la morue. Le couple de restaurateur est paraît il très sympa. Nous nous embrassons et nous voilà partis avec 2 chauffeurs dans la banlieue lyonnaise. Curieusement nous nous rapprochons de Collonges et nous nous retrouvons dans la salle à manger de Paul et Raymonde devant un gigantesque pot au feu – aïoli de morue bien épaisse à se damner. Nouveau moment festif. Bravo l’artiste…

Toute cette succession de mots pour honorer les valeurs de ce très grand personnage; lui témoigner le plus grand respect, et pour nous petit peuple des marmitons et maîtres-queux, lui déclarer notre admiration et notre engagement à poursuivre, transmettre et régénérer notre exceptionnel patrimoine culinaire. Un grand coup de chapeau à Monsieur Paul, qui arborait volontiers notre superbe béret gascon..

Alain Dutournier

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